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Aperçu sur les cordes cosmiques

Lorsque l'on s'intéresse aux premiers instants de l'univers, sa température et sa densité sont très élevées, et la description correcte de la matière fait appel à la physique des particules, au travers de la théorie quantique des champs. Une prédiction majeure du modèle standard de physique des particules est l'unification, par brisure de symétrie, des interactions électromagnétique et faible qui donne l'échelle d'énergie de prédilection au delà de laquelle le terme ``primordial'' est de rigueur, c'est-à-dire un milliard de GeV, soit un univers âgé de moins d'un centième de milliardième de seconde. C'est dans ce cadre que T. Kibble a montré, en 1976 [1], que des transitions de phases induites par des brisures de symétrie, telles qu'on les rencontre dans ces théories, peuvent générer des défauts topologiques du vide. Ces objets étendus sont topologiquement stables, et bien que pour l'instant non détectés, ils pourraient être encore présent aujourd'hui. La compatibilité de leur existence avec les observations cosmologiques (BOOMERanG, MAXIMA, ARCHEOPS, MAP et PLANCK ...) donne alors des contraintes sur la physique qui est à l'origine de leur formation, c'est-à-dire à des échelles d'énergie qui sont, et le seront encore pour longtemps, inaccessibles aux accélérateurs.

Les cordes cosmiques, un type de défaut topologique filiforme, sont actuellement compatibles avec les contraintes observationnelles, et ce n'est que dans des effets plus fin que leur existence peut être ou non infirmée. L'observation des fluctuations de température du fond diffus cosmologique (CMB) est aujourd'hui un des moyens les plus prometteurs d'aborder la question.

Ceci est rendu possible par les connaissances théoriques que l'on a de ces objets. Étant extrêmement massifs, et animés de mouvements ayant des vitesses proches de celle de la lumière, les cordes cosmiques induisent des perturbations gravitationnelles que l'on peut retrouver dans les fluctuations du rayonnement fossile. Le spectre angulaire de ces fluctuations présente, malgré l'imprécision des données observationnelles actuelles, une série d'oscillations (voir Fig. 1). La présence d'oscillations s'explique aisément dans le cadre de certains modèles de formation des structures dont les perturbations sont dites ``cohérentes'', et dont les plus populaires sont les modèles d'inflation. À l'inverse, il semble que la plupart des modèles de défauts topologiques ne prédisent pas la présence de ces oscillations, comme indiqué sur la figure 1 où on a représenté en orange le spectre de puissance prédit par un type très particulier de défauts topologiques (relativement irréaliste mais plus facile à étudier), dis ``globaux''. On parle alors de modèles dont les perturbations sont dites ``incohérentes''. On peut s'attendre à un comportement similaire pour les cordes cosmiques [2,3,4,5]. Néanmoins, la coexistence entre un scénario d'inflation et un scénario de défauts topologiques semble mieux s'accorder aux données actuelles à tout point de vue. D'une part, le mécanisme d'inflation lui-même peut donner naissance à des cordes [6,7], et le devenir du champ induisant l'inflation, l'inflaton, peut également conduire à des transitions de phase les générant. Sur la figure 1 est également représenté le meilleur ajustement des données actuelles par un mélange des spectres de puissance issus des défauts topologiques particuliers (courbe orange) et de l'inflation (courbe noire). Bien que la dégénérescence dans les paramètres soit importante, il est motivant de noter que les données observationnelles sont mieux ajustées par un tel mélange que par un modèle d'inflation pur [8].

Figure 1: Spectre de puissance des fluctuations du CMB attendu par la coexistence d'une phase d'inflation avec un type particulier de défauts topologiques, dit ``globaux''. La proportion donnant le meilleur ajustement est également indiquée (tiré de [8]).

Actuellement, on cherche donc à déterminer la proportion de cordes cosmiques locales effectivement présente dans les fluctuations de température du fond diffus cosmologique. Pour ce faire, il est tout d'abord nécessaire de déterminer l'évolution d'un réseau de cordes cosmiques au cour de l'expansion de l'univers. Ceci est réalisé numériquement par l'intégration des équations du mouvement de chaque corde en espace-temps de Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker, et la prise en compte des intercommutations. En effet, lors de leurs intersections, les cordes ont la propriété d'échanger leur brins respectifs avec une probabilité d'échange proche de l'unité.

Figure 2: Formation de boucles de corde cosmique par intercommutation d'une seule corde, ou intersection de deux cordes différentes.

Ce travail a déjà été réalisé par F. R. Bouchet et D. Bennett dans les années 1990 par le développement et l'utilisation d'un code d'évolution vectorisé [15,16,17,18,19], ainsi que par un autre code développé par B. Allen et E. P. S. Shellard [13,14]. Le résultat majeur obtenu est que quelle que soit la configuration initiale d'un réseau de cordes, celui-ci se relaxe toujours vers une solution stationnaire dans laquelle coexiste une dizaine de cordes traversant l'univers observable et une quantité colossale de boucles de corde oscillantes émettant du rayonnement gravitationnel (voir Figure 3). Pour qu'un tel réseau puisse être compatible avec les observations cosmologiques, il est nécessaire que ces boucles disparaissent sous forme de radiation (voir Figure 4), ce qui est généralement le cas, mais peut être exclu par l'existence de courants le long des cordes. Autrement dit, il est suffisant d'étudier les propriétés statistiques des cordes dans ce régime dit de ``scaling'' pour pouvoir les extrapoler sur des temps cosmologiques (voir Fig. 4).

Figure 3: Configuration du réseau de cordes dans l'ère de matière (en haut) et de radiation (en bas), lorsque le régime stationnaire est atteint et lorsque le volume comobile initial est complètement contenu dans l'horizon. La structure à petite échelle des cordes est clairement visible dans leur forme et par la taille et le grand nombre de boucles (en rouge) générées au cour de l'évolution (la plupart sont en dessous de la résolution de l'image et apparaissent comme des points) C. Ringeval, F. Bouchet
Figure 4: Évolution de la densité d'énergie adimensionnée des cordes infinies (traversant l'univers observable) dans l'ère de radiation, en trait plein noir, comparée à celle des boucles, en tirets rouges courts, tracé en fonction du temps conforme. La densité d'énergie totale du réseau, incluant les boucles et les cordes plus grandes que l'horizon, est représentée en tirets bleus longs. La solution d'échelle n'est donc rendue possible que par la formation des boucles, et leur désintégration en une forme d'énergie ne dominant pas la dynamique de l'univers (en pratique des ondes gravitationnelles).

Grâce à ces simulations numériques, on peut calculer l'évolution de toutes les autres perturbations cosmologiques en tenant compte de l'influence gravitationnelle du réseau de cordes qui apparaît juste comme un terme source supplémentaire. Ceci est rendu possible par le fait que les perturbations cosmologiques n'affectent pas la dynamique du réseau de cordes (alors que le contraire est bien sûr vrai). Ceci rend possible la séparation du calcul de l'évolution du réseau de cordes et ensuite celui des perturbations cosmologiques, techniquement plus simple.

La comparaison entre les spectres obtenus par les calculs numériques et les observations permet finalement de contraindre les paramètres de ces modèles, notamment la proportion relatives entre perturbations de type inflationaires et perturbations générées par les cordes cosmiques.

Néanmoins, un problème majeur subsiste: il résulte de la taille trop faible des simulations actuelles de cordes menant à l'absence de perturbations dites ``superhorizons'', i.e. correspondant à des longueurs caractéristiques supérieures à la distance à l'horizon (taille de l'univers obervable). En effet, pour pouvoir atteindre le régime stationnaire en des temps raisonnables au cour de la simulation numérique, il est nécessaire de fixer initialement la taille de l'horizon à une valeur telle que la densité d'énergie associée aux cordes soit voisine de celle du ``scaling'' (voir Fig. 4). Ainsi, pour disposer de modes superhorizons, il est nécessaire de diminuer la taille initiale de l'horizon, et par voie de conséquence, augmenter le nombre initial de cordes afin de préserver la densité d'énergie initiale. La présence de ces modes est indispensable, car ils déterminent le comportement du spectre de puissance aux grandes échelles angulaires, et donc la normalisation de celui-ci sur les données de la mission COBE. La solution est dans l'emploi de supercalculateurs (IAP, UNIGE, IDRIS...) qui permettent d'accéder à des résolutions suffisantes pour la détermination des modes superhorizons, mais qui necessitent également de nombreuses améliorations des codes existants !

Quelques machines qui permettent de simuler numériquement l'évolution d'un réseau de cordes cosmiques, et bientôt d'en calculer la contribution dans le CMB... (et accessoirement de faire des films !) C. Ringeval, F. Bouchet
Magique, de l'Institut d'Astrophysique de Paris Euler, du Centre de Calcul de l'Université de Genève Zahir, de l'IDRIS
1 Go MKV x264 format
Animation de cordes Format .AVI gzippé 1Go

La signature de la présence de cordes cosmiques dans le spectre du CMB est donc actuellement, et d'un point de vue numérique, intimement liée à la taille maximale des simulations d'évolution cosmologique réalisables. La réponse au problème de l'existence de cordes cosmiques dans l'univers serait une avancée scientifique importante, qu'elle qu'en soit sa nature. L'absence totale de cordes cosmiques serait en effet une contrainte forte sur la physique des particules aux énergies atteintes dans l'univers primordial puisqu'elle exclurait de ce fait toute une classe de transitions de phase conduisant à leur formation. De plus, on peut montrer que les cordes cosmiques peuvent être parcourues de courant de particules [9,10,11,12] modifiant certaines de leurs propriétés. Elles sont donc également un moyen de détection indirect des particules ayant existé dans le plasma primordial.




Mis à jour le Jeu 28 Nov 2002, C. Ringeval